Puits de carbone,
régime des fruits et droit de propriété
Par Frédéric Dietrich – 24/09/2024.
Les puits de carbone organiques regroupent trois objets de droits : le réservoir, le processus et le temps de résidence. Compte tenu de cela, la quête d’un régime juridique devrait, en tout état de cause, conjuguer l’intégralité de ces trois objets. Du point de vue scientifique, il est à noter qu’il existe un lien d’interaction entre deux de ces objets. En effet, les processus de photosynthèse, de dissolution des gaz partiels et d’altération des silicates sont générés par le réservoir, périodiquement et régulièrement, sans altération de la substance dudit réservoir. À cela s’ajoute le fait que le processus des Puits de carbone organiques est le service écosystémique de régulation du climat. L’ensemble de ces éléments concordants semble indiquer que les puits adhèrent au régime des fruits. En conséquence de ce régime consacré, les puits de carbone obéissent au droit de propriété. Jadis absolu, ce droit ancestral et mature est devenu relatif. Par la relativité du droit de propriété, la protection de la Vie par les Puits de carbone est alors largement envisageable.
Le processus généré périodiquement et régulièrement par le réservoir, sans altération de sa substance
En vertu d’une toute nouvelle définition doctrinale, les puits de carbone, organiques ou artificiels, fédèrent 3 objets de droits que sont le réservoir, le processus et le temps de résidence (Dietrich, 2022). Cependant, puisqu’il porte de sérieuses imperfections, le droit du climat n’est pas en mesure de faire endosser aux puits un régime juridique solidement consacré.
Constatant cela, nous nous sommes tournés vers les sciences afin qu’elles nous indiquent les critères qui régissent les interactions entre les objets de droits. Il apparaît alors très clairement que les processus de photosynthèse, de dissolution des gaz partiels et d’altération des silicates sont engendrés par le réservoir. En effet, c’est bien l’arbre ou le Puits-Forêt qui en qualité de réservoir produit la photosynthèse, en autres, par ses feuilles. De même, le Puits-Océan et le Puits-Sol génèrent respectivement les processus de dissolution des gaz partiels et d’altération des silicates. En référence à de solides positionnements scientifiques, les objets de droits des Puits de carbone obéissent à des critères communs qui sont l’engendrement, la périodicité et la régularité. Des critères qui trouvent leur destinée en droit…
Le processus des Puits de carbone compris comme service écosystémique alors qualifié de fruits par la doctrine
À l’instar du Millennium Ecosystem Assessment (MEA, 2005), il est avéré que le processus des Puits de carbone organiques relève de ce que l’on nomme un service écosystémique, en l’occurrence, le service de régulation du climat par la captation de carbone atmosphérique.
Brillamment, la doctrine s’est alors penchée sur les probables qualifications juridiques des services écosystémiques (Beaussonie, 2018). Les qualifications retenues sont : les fruits, les servitudes administratives, les mesures de police environnementale ou les obligations réelles. Or, à y regarder de plus près, il semble qu’une regrettable confusion ait conduit à qualifier ce qui procède de la qualification du réservoir au détriment de ce qui retourne du processus. Dit autrement, les servitudes administratives, les mesures de police environnementale ou les obligations réelles relèvent du réservoir des Puits de carbone et non du processus. La seule qualification qui corresponde à l’objet de droits relatif au processus reste celle des fruits.
D’autres membres éminents de la doctrine n’ont pas fait cette regrettable confusion et ont immanquablement qualifié les services écosystémiques, dont le processus des Puits de carbone, de fruits (Vanuxem, 2017 ; Billet 2018).
Les Puits de carbone, appropriés et appropriables, adhèrent au régime juridique des fruits
Le ciel est bleu, les oiseaux volent, et bien évidemment, le droit de l’environnement s’est inspiré et s’inspire encore des sciences pour se construire et se structurer en vertu des paramètres de prédictibilité et de reproductibilité. Les Puits de carbone sont à la fois cette notion qui fait converger le droit et les sciences. Or, ainsi que nous l’avons signifié plus haut, le processus des puits de carbone est généré périodiquement et régulièrement par le réservoir. En référence à la tradition civiliste, les choses qui obéissent aux critères d’engendrement, de périodicité et de régularité relèvent de la notion de fruits (Jaoul, 2014).
En droit Romain, les fruits (ou le processus) sont la chose dite accessoire, cette dernière est produite par la chose dite principale (ou le réservoir). Le droit possède aussi sa logique. Selon l’expression consacrée, la chose accessoire et sa qualification juridique suivent la qualification de la chose principale (accessorium sequitur principale). En clair, la qualification du processus va inspirer celle du réservoir alors qualifié de chose frugifère, la chose matricielle apte à produire des fruits.
En conséquence, les puits de carbone – appropriables et appropriés – adhèrent pleinement au régime des fruits, un régime qui correspond aussi à la qualification des services écosystémiques. En termes de catégorie juridique, les Puits de carbone vivants produisent des fruits dits « organiques » dont ils tirent désormais le nom : les Puits organiques, naturels ou industriels (art. 582, Code civil). Quant aux puits artificiels, ils retournent d’une production de fruits dits « civils » (art. 583, Code civil). En somme, le régime des fruits recouvre par ses catégories l’intégralité des types de puits de carbone.
Outre, le fait que le régime des fruits ait cette admirable faculté à conjuguer les deux objets de droits des puits de carbone (le processus et le réservoir), il n’élude pas pour autant le dernier objet de droits qu’est le temps de résidence. La gestion « en bon père de famille » de la chose frugifère confère au régime des fruits la durabilité chère au principe des équités générationnelles.
Enfin et au titre de la compensation climatique, les émissions par les sources, quotas ou crédits carbone, obéissent au régime des biens. Eu égard à la neutralité climatique prévoyant la compensation entre les sources et les « processus » des puits, il est attendu que cette compensation soit rendue effective par un régime juridique commun entre deux objets fongibles (art. 587 et art. 1892, Code civil), c’est à dire de compensation interchangeable. D’un point de vue normatif, les émissions par les sources, crédits et quotas carbone, obéissent au régime des biens. Or, seule la qualification de fruits fait entrer le « processus » dans le régime des biens.
La relativité du droit de propriété pour la protection de la Vie
Le fait que les puits de carbone, qu’ils soient appropriés ou appropriables, adhèrent au régime des fruits, suppose leur gouvernance par le droit de propriété. La Vie étant un Puits de carbone, il est alors nécessaire de se demander si le droit de propriété est en mesure de protéger le Vivant.
Une formule doctrinale résume assez clairement l’évolution de ce droit de propriété : « la propriété a été bourreau de la nature, avant [que] d’en être victime » (Grimonprez, 2015). D’un droit absolu (art. 544, Code civil), le droit de propriété est devenu ce droit complètement relatif (Scaboro, 2013). D’origine jurisprudentielle, cette relativité est fondée par deux théories : la théorie des troubles anormaux de voisinage et la théorie de l’abus de droit de propriété. Inspirée de ces deux théories, une pléthore de normes est venue amoindrir le dominium, notamment dans la gestion des biens environnementaux. Dorénavant, la propriété s’exerce en considération de sa fonction sociale (erga omnes). Adaptée à l’environnement, cette fonction sociale vise au maintien de l’ordre public écologique lui-même fondé sur la pacification des relations entre l’Homme et la Nature (Kiss, 2005). Une pacification propre à créer cette symbiose tant désirée entre les générations présentes et les générations futures.
En marge des puits de carbone appropriables et appropriés qui ont su trouver leur régime, il demeure les puits strictement inappropriables dont la qualification est celle relative à la chose commune (art. 714, Code civil). Tout autant Puits de carbone, la faune et la flore strictement protégées par les Conventions internationales (CITES, 1975), tout comme la Haute-mer (Convention de Montego Bay, 1982), ne sauraient correspondre au régime des fruits, mais au régime des communs.
Le droit de propriété n’est plus un droit destructeur. Cependant, il demeure une idée selon laquelle le retrait de ces Entités environnementales du droit de propriété plaide à leurs protections. Pourtant, près de 69 % des espèces sauvages largement inappropriées auraient déjà disparu en 50 ans (Mcrae, 2017). Ainsi que l’observe Aristote, « [l]’homme prend le plus grand soin de ce qui lui est propre, il a tendance à négliger ce qui est commun ».
Les conclusions sont donc à nuancer. Le droit de propriété n’est plus ce droit vulgaire et destructeur, il possède aussi des qualités propres à faire jaillir la protection de la Vie. Il serait alors dommage de se priver de ce levier ancestral.
Références
BEAUSSONIE G., « La qualification juridique des services écosystémiques », Droit et ville, no 1, Cairn/Softwin, 2018, p. 119‑34.
BILLET P., « Considérations juridiques sur le service de pollinisation et services associés », In Des petits oiseaux aux grands principes” – Mélanges en hommage au Professeur Jean Untermaier, 2018, p. 53‑91.
DIETRICH F., Entrée « Puits de carbone », in TORRE-SCHAUB M., JÉZÉQUEL A., LORMETEAU B. et MICHELOT A., Dictionnaire Juridique du Changement Climatique, Mare & Martin, coll. « Collection de l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne », vol. 69, 2022, p. 459-60.
GRIMONPREZ B., « La fonction environnementale de la propriété », Revue trimestrielle de droit civil, 3, 2015, p. 539‑50.
JAOUL M., La notion de fruits : étude de droit privé, Th. Montpellier I, 2014.
KISS A., « L’ordre public écologique » in M.Boutelet & J.-C. Fritz (dir.), Bruxelles, Bruylant, 2005
MCRAE L., DEINET S. et FREEMAN R., « The diversity-weighted living planet index : controlling for taxonomic bias in a global biodiversity indicator », Plos one, 12, no 1, Public Library of Science San Francisco, CA USA, 2017, p. 20
SCABORO R., « Le droit de propriété, un droit absolument relatif », Droit et ville, no 76, 2013, p. 237‑55
VANUXEM S., « Les services écologiques ou le renouveau de la catégorie civiliste de fruits ? », McGill Law Journal, 62, no 3, 2017, p. 739‑76.