Le mariage de la lutte climatique à la lutte contre l’érosion de la Biodiversité par les Puits de carbone

Par Frédéric Dietrich – 30/09/2024.

Intuitivement, nous le savons sans que nous puissions poser des mots dessus.  Oui, il y a bien un lien entre le Climat et le Biodiversité. Malheureusement, si l’intuition est là pour nous éclairer vers ce lien, ce dernier peine à être formulé clairement.  Quel est ce chainon manquant entre le climat et la Biodiversité ? Devant nos yeux depuis fort longtemps, ce lien existe bel et bien.  Il peut être consacré par une seule notion : les Puits de carbone.  Tant attendu, ce lien peut être explicité en sciences.  Bien que les émissions anthropiques de gaz carbonés soient responsables des changements climatiques constatés, il demeure en parallèle que l’atome de carbone est le principal matériau de la Vie.  En clair, la Vie est un Puits de carbone.  En conséquence, valoriser et protéger les Puits de carbone, c’est marier la lutte climatique à la lutte contre l’érosion de la Biodiversité.  Explications à suivre sur ce chainon manquant tant désiré !

Le mariage Climat Biodiversité par les Puits de carbone

L’augmentation de la concentration de CO2 atmosphérique se conjugue à la perte en Biodiversité

Depuis le début de l’ère industrielle, les émissions par les sources de gaz à effet de serre notamment carbonés ont été libérées dans l’Atmosphère.  La concentration de CO2 dans l’Atmosphère a augmenté, en passant de 280 à près de 420 particules par million (Hoffman, 2009).  Les effets des changements climatiques sont désormais tangibles.  Parmi les faits palpables démontrant l’effectivité des changements climatiques, on note cette redoutable remontée du niveau marin (relatif) qui augmente en moyenne de 3 mm par an (TOPEX/Poseidon, Jason-1, Jason-2, Jason-3 entre 1992 et 2016).

Côté Biodiversité, le constat n’est pas plus reluisant. Près de 69 % des espèces sauvages auraient déjà disparu en 50 ans (Mcrae, 2017).  À défaut de ne pouvoir s’adapter rapidement au dérèglement climatique, de nombreuses espèces s’éteignent dans l’anonymat, ce qui représente une perte irréversible pour les générations présentes et futures.  Cette extinction de masse est d’une telle ampleur qu’elle pourrait prononcer l’avènement d’une nouvelle ère géologique : l’anthropocène (Crutzen, 2019).

L’Être et la manifestation de l’Être, deux objets de droits différents, mais intriqués

Les Puits de carbone organiques sont une chose multiple, démembrés en deux objets distincts (Dietrich, 2022).

Le premier objet procède de ce que nous appellerons l’« Être », le Vivant qui construit sa structure physique à partir du carbone.  Compte tenu du fait que la Vie fonde son corpus à partir du carbone, l’Être se comprend comme un réservoir qui stocke le carbone.

Le second objet retourne de ce que nous nommerons la « manifestation de l’Être », soit l’expression de la Vie dans la matière.  Pour que la Vie forme sa matière physique, il est alors nécessaire qu’un mécanisme vienne absorber le carbone au préalable.  Manifestation de l’Être dans la matière, ce mécanisme n’est autre que le processus des Puits de carbone.

Alors que le réservoir des Puits de carbone organiques se distingue clairement de son processus, il est quand même à noter que c’est le réservoir qui génère le processus.  Sans réservoir pas de processus, sans l’Être pas de manifestation de l’Être.  Le réservoir a donc la primauté sur le processus qu’il produit, tout comme le pommier prévaut sur ses pommes (Robinne, 2003). 

Partant de ce constat millénaire, le droit Romain consacre ce lien hiérarchique entre la chose principale ou frugifère (le réservoir) qui prédomine face à la chose accessoire ou ses fruits (le processus).

En valorisant le processus, nous atténuons les changements climatiques, en protégeant le réservoir, nous luttons contre l’érosion de la Biodiversité

Les Puits de carbone sont donc fragmentés en deux objets dits « de droits ».

Le processus, d’une part, va absorber – directement ou indirectement – le carbone atmosphérique.  Il est générépériodiquement et régulièrement par le réservoir, la plupart du temps, sans altération de sa substance.  En valorisant le processus des Puits de carbone organiques, nous atténuons les effets des changements climatiques. 

Le réservoir d’autre part qui, lui, va séquestrer et stocker le carbone absorbé par le processus pour former sa structure physique.  En protégeant les Puits de carbone organiques, nous luttons contre l’érosion de la Biodiversité.

En schématisant, le carbone piégé par le Vivant représente autant de carbone qui ne se retrouve pas sous forme de gaz dans l’Atmosphère.

En définitive, le caractère démembré des Puits de carbone leur confère cette capacité hors norme capable de conjuguer la lutte climatique à la lutte contre l’érosion de la Biodiversité.

La gouvernance des Puits de carbone par la valorisation du processus conditionnée à la protection du réservoir

Fragmentés, les Puits sont une chose démembrée en deux objets : le processus qui atténue les effets des changements climatiques et le réservoir où siège la Vie qui construit sa structure physique par le carbone.  Il est alors important que les Puits de carbone s’inscrivent dans un mode de gestion différencié, mais fondé sur un lien hiérarchique permettant d’une part, la valorisation du processus et, d’autre part, la protection du réservoir. Comment y parvenir ?

Conditionné par le droit de propriété, le régime des fruits permet cet exploit (Jaoul, 2014).  En effet, il prévoit la jouissance et l’usage du processus (la chose accessoire) qui se trouvent valorisés sous condition de protection de sorte qu’il n’y ait pas d’altération de la substance du réservoir (la chose principale). En référence aux prérogatives du droit de propriété, l’usage (usus) et la jouissance (fructus) conditionnent aussi la disposition de la chose (abusus).  Par ce régime, il est alors envisageable de marier la lutte climatique à la lutte contre l’érosion de la Biodiversité.

Reste à trouver un champ d’expression capable d’endosser un tel objectif.  Le droit de l’environnement et son contrat environnemental seront alors le fer de lance qui permettront dans les faits de réaliser cette tant attendue entreprise.

Références

CRUTZEN P., « La géologie de l’humanité : l’Anthropocène », Ecologie politique, 34, no 1, Presses de Sciences Po, 2007, p. 141‑48.

DIETRICH F., Entrée « Puits de carbone », in TORRE-SCHAUB M., JÉZÉQUEL A., LORMETEAU B. et MICHELOT A., Dictionnaire Juridique du Changement Climatique, Mare & Martin, coll. « Collection de l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne », vol. 69, 2022, p. 459-60.

HOFMANN D.J., BUTLER J.H. et TANS P.P., « A new look at atmospheric carbon dioxide », Atmospheric Environment, 43, no 12, Elsevier, 2009, p. 2084‑86.

JAOUL M., La notion de fruits : étude de droit privé, Th. Montpellier I, 2014.

MCRAE L., DEINET S. et FREEMAN R., « The diversity-weighted living planet index : controlling for taxonomic bias in a global biodiversity indicator », Plos one, 12, no 1, Public Library of Science San Francisco, CA USA, 2017, p. 20.

ROBINNE S., Contribution à l’étude de la notion de revenus en droit privé, Presses universitaires de Perpignan, 2003.