La juste valorisation du carbone des Puits
Par Frédéric Dietrich – 17/01/2025.
En référence à la neutralité carbone, Puits et sources ne jouent pas à armes égales. En effet, si à l’international, on compte une absorption de CO2 par les Puits pour deux émissions par les sources de CO2, en France ce rapport s’étend à près d’une absorption par les Puits pour 24 émissions par les sources. L’exemple parlant de l’arbre en qualité de Puits et de la voiture en correspondance de sources explique ce contraste. Il faut 50 arbres pour compenser les émissions d’une seule voiture. Pourtant, les marchés du carbone fixent un prix similaire (en Teq/CO2) entre le rare carbone des Puits et l’abondant carbone des sources. À l’instar du combat entre David et Goliath, les Puits sont dévalorisés par rapport aux sources. C’est pourquoi Carbonlife propose de valoriser la Teq/CO2 des Puits en considération du facteur abondance/rareté.
Le profond déséquilibre entre émissions par les sources et les absorptions par les puits
Pour que le lecteur saisisse à quel point le déséquilibre est grand entre les émissions par les sources et les absorptions par les puits, nous prendrons l’exemple parlant de la voiture et de l’arbre. L’un inerte, l’autre Vivant.
Une voiture thermique moyenne, comprise comme source, émet près de 1,5 Teq-CO2 par an, lorsqu’un arbre moyen, senti comme Puits de carbone organique, absorbe 30 Kg eq- CO2 par an, soit 0,03 Teq-CO2 par an. En clair, il faut 50 arbres pour compenser les émissions annuelles d’une seule voiture thermique. Les chiffres sont similaires pour les véhicules électriques (en considérant qu’une voiture électrique émet 100 Teq/CO2 par kilomètre pour un kilométrage de 15.000 Km à l’année). En effet, la production de voitures électriques a un bilan carbone deux fois plus élevé que celle des voitures thermiques, notamment lors de la fabrication des batteries (Hurel et al., 2024). Ainsi, bien que la mise en circulation d’un véhicule électrique réduise les émissions directes, il demeure que les véhicules électriques sont des émetteurs indirects de CO2. Selon l’origine de l’électricité, le bilan peut s’alourdir au point de dépasser le bilan des voitures thermiques, par exemple lorsque l’électricité provient de centrales à combustion de charbon ou de biomasse.
S’ajoute à ce bilan largement défavorable au Vivant, la valeur financière très faible du carbone des Puits de l’arbre. Sur un marché carbone coté à 60 Euros/TeqCO2, le carbone absorbé par un arbre représente un actif estimé à 1,8 euro par an, alors que le carbone émis de la voiture a un passif avoisinant les 90 euros par an.
Face à la financiarisation de la lutte climatique, le Vivant est sous-coté.
La rareté du carbone des Puits face à l’abondance du carbone des sources, une hérésie économique
En vertu de l’obligation à la neutralité carbone, la lutte climatique réside en la compensation entre les émissions par les sources et les absorptions par les puits (art. L. 100-4-I-1°, Code de l’énergie).
En se référant aux chiffres du budget du carbone mondial pour l’année 2023, les émissions par les sources sont estimées à 36 Giga Teq/ CO2 lorsque les absorptions par les puits sont évaluées à 22 Giga Teq/ CO2 (Friedlingstein et al., 2023). En proportion, il y a un peu moins de deux carbones de source pour un carbone de Puits. Lorsque l’on se place à l’échelle d’un pays ou d’un département, la rareté du carbone de Puits s’amplifie. En effet, on compte près de vingt-quatrecarbones de source pour un carbone de Puits au niveau national en 2022 (CITEPA, 2023). En substance, ces chiffres démontrent qu’au niveau national le carbone de Puits est 24 fois plus rare que le carbone de source.
Ce clivage confère au carbone de Puits une forme de rareté face au carbone de source.
Ainsi que David Ricardo le disait : « tant qu’elles possèdent une utilité, les marchandises tirent leur valeur d’échange de deux sources : leur rareté et la quantité de travail nécessaire pour les obtenir » (Ricardo, 1992). De même, la « main invisible » chère à Adam Smith renvoie à une situation d’équilibre entre le prix de marché et le prix naturel selon les règles de l’offre et la demande, ce qui a pour conséquence de réguler les marchés (Smith, 1759). En comparaison à une chose abondante, une chose devenue rare voit sa valeur augmentée. Seulement voilà, les cotations des marchés du carbone sont administrées par les États par les allocations de crédits et quotas. Ces derniers biaisent la règle fondamentale de l’offre et de la demande.
En effet, comment se fait-il que le carbone de source polluant et abondant soit vendu au même prix qu’un carbone de Puits rare et dépolluant ?
Le réajustement du critère de rareté du carbone des Puits
Nous avons fait le choix de valoriser le carbone des Puits du service écosystémique de régulation du climat, en rétablissant le critère de rareté du Vivant.
Ce rétablissement est fondé sur le degré d’abondance/rareté entre le carbone de sources et le carbone de Puits. Selon les régions, les départements ou au niveau national, nous tenons compte des documents officiels faisant étant des flux de carbone qui fixent le rapport abondance/rareté.
Au niveau national par exemple, attendu qu’il y a 24 carbones de sources pour 1 carbone de Puits, le prix de la Teq/ CO2s’élèvera à 24 fois la cotation des marchés du carbone que nous fixons à 100 euros la Teq/ CO2. En France métropolitaine, le carbone de Puits s’établira alors à 100 euros multipliés par 24, c’est-à-dire 2.400 euros la Teq/ CO2.
À l’île de la Réunion où il y a 10 carbones de sources pour 1 carbone de Puits, la valeur de la Teq/ CO2 sera fixée à 100 euros multipliés par 10, soit à 1.000 euros la Teq/ CO2.
Bien entendu, ce réajustement compris entre 1.000 et 2.400 euros la Teq/ CO2 est réajustable en fonction de critères propres au Puits de carbone valorisé comme la dimension patrimoniale, culturelle, éducative ainsi qu’à la vigueur des services écosystémiques du Puits de carbone organique.
Références
CITEPA, « Gaz à effet de serre et polluants atmosphériques. Bilan des émissions en France de 1990 à 2022 », 2023, p. 575
FRIEDLINGSTEIN P., O’SULLIVAN M., JONES M.W., ANDREW R.M., BAKKER D.C., HAUCK J., LANDSCHÜTZER P., LE QUÉRÉ C., LUIJKX I.T. et PETERS G.P., « Global carbon budget 2023 », Earth System Science Data, 15, no 12, Copernicus GmbH, 2023, p. 5301‑69
HUREL L. et GIRARD R., La fin de vie des batteries des véhicules électriques, un impensé de la transition énergétique?, PhD Thesis, Ecole nationale Supérieure des mines de Paris, 2024, https://hal.science/hal-04702677/, consulté le 23 décembre 2024.
RICARDO D., CONSTÂNCIO F.S. et SAY J.B., Des principes de l’économie politique et de l’impôt, Paris, GF-Flammarion, 1992, p. 52.
SMITH A., Théorie des sentiments moraux, Paris, PUF, coll. « Léviathan », 1759, p. 257.