Les imperfections du droit du climat
dommageables aux Puits de carbone

Par Frédéric Dietrich – 19/09/2024.

Comment expliquer que la notion de Puits de carbone soit si transparente en droit et demeure encore méconnue du grand public ?  Au travers de ces quelques lignes, nous proposons une hypothèse permettant d’expliquer cela.  Il semble en effet que le droit de climat soit empreint de quelques insuffisances dont les effets ont eu pour conséquence de disqualifier les Puits de carbone. Même infimes, comme les battements d’aile d’un papillon, ces imperfections ont eu pour conséquence de repousser les Puits de carbone loin du rivage de la consécration.  À l’instar du droit de propriété, tous les droits endossent des imperfections.  En palliant ces regrettables imperfections, le droit du climat pourrait très bien changer son fusil d’épaule en devenant un droit en mesure de marier la protection du climat à la protection de la Biodiversité.  Cependant, pour comprendre le fondement de ces insuffisances, il nous a été nécessaire d’entamer un indispensable voyage interdisciplinaire entre le droit, les sciences et l’économie.

Les imperfections du droit du climat

La neutralité carbone, ou la porte d’entrée des puits dans le droit du climat

Avant tout, il nous paraît important de définir ce qui est entendu par “droit du climat”.  Nous avons qualifié en qualité de « droit du climat » : les normes (internationales, européennes et internes), les éléments doctrinaux et la jurisprudence ayant trait au climat.  Alors que la Convention-cadre de 1992 à Rio est considérée comme l’année de naissance du droit du climat, la neutralité carbone a été et reste la porte d’entrée des puits de carbone dans ce droit.  Elle consiste en un équilibre entre les émissions par les sources (voitures, industries, etc) et les absorptions par les puits (Océan, Forêt, Sol, Biodiversité et technologies de captation ou puits artificiels).  Faisant de la neutralité carbone le point cardinal de la lutte climatique, l’équilibre entre les émissions par les sources et les absorptions par les puits a alors conquis l’intégralité de l’ordonnancement juridique (art. 4§1-a, CCNUCC 1992 ; art. 1, Règlement 2021/1119 ; art. L. 100-4-I-1°, Code de l’énergie).

Première imperfection :
l’amalgame du Vivant et de l’inerte par le terme « anthropique »

Si la première Convention du droit du climat consacrait le Vivant en prévoyant l’usage des Puits dit “naturels” dans la compensation relative à la neutralité carbone (art. 1§8, CCNUCC 1992), le Protocole de Kyoto a banni la Vie – qui n’ a pas recours à la main de l’Homme  – de la lutte climatique (Art. 3§3, Protocole de Kyoto 1997).  Désormais, les types de puits sollicités pour parvenir à l’équilibre avec les sources devront être « anthropiques ».  

Cependant, le terme anthropique est source d’un terrible amalgame.  En effet, il englobe à la fois ce qui est consécutif à une technologie humaine inerte (les technologies de captation aussi nommées « puits artificiels ») avec ce qui résulte de l’invention du Vivant fomenté par la main de l’Homme (l’agriculture ou encore les agroforesteries).  L’Anthropisation de la lutte climatique a alors fondu dans un même moule ce qui relève d’une technologie, avec ce qui procède du jeu de la Vie, certes orienté par l’Homme.  Pourtant, les sciences ne cessent d’affirmer et de réaffirmer que les Puits naturels absorbent et séquestrent plus du quart des émissions d’origine humaine (Friedlingstein, 2023).  Cela s’explique par le fait que le carbone soit le matériau du Vivant.

Sont alors écartés du droit, les Puits de carbone naturels tels que le Puits-Océan ou le Puits-Forêt, au profit des puits artificiels dont la rentabilité économique est largement décriée.  Quels en sont les effets ?  Dans sa gouvernance, le droit du climat prône le renforcement des puits de carbone, un renforcement qui plaide en faveur de l’émergence d’une probable valorisation et protection de la Vie.  Or, l’éviction des Puits naturels prive le Vivant de cette gouvernance.  En outre, se priver des Puits naturels rend intenable l’accomplissement de la neutralité carbone.  Une chose qu’a très bien comprise le droit européen qui, dans un récent Règlement, a réhabilité les Puits naturels dans le lutte climatique (art. 4§1, Règlement 2021/1119).  Que d’années perdues malgré cette tardive prise de conscience…

Seconde imperfection :
le démembrement des puits en deux objets de droits sans lien d’engendrement

En matière de puits de carbone, chaque discipline voit midi à sa porte.  Pour le droit, un puits est un processus qui absorbe le CO2 atmosphérique.  Mais pour les sciences, un puits est avant tout un réservoir qui stocke le carbone.  Dans cette dynamique, la communauté scientifique qualifie alors un puits au regard de son réservoir de référence qu’elle nomme respectivement Puits-Océan, Puits-Forêt, Puits-Sol et Puits-Biodiversité.  En droit de l’environnement, l’Océan, la Forêt, le Sol et la Biodiversité sont appréhendés en qualité d’Entités environnementales ou de chose dite matricielle.  En droit Romain, on parle de chose frugifère, une chose principale capable de générer périodiquement et régulière une chose accessoire, sans altération de sa substanceque l’on nomme : les fruits (Jaoul, 2019).  Partant de ce constat, le processus ne serait-il pas la chose accessoire du réservoir compris comme chose principale ?  Qui sont les processus des Puits de carbone au juste ?  Les sciences nous éclairent alors sur ces questionnements.  La photosynthèse, la dissolution des gaz partiels et l’altération des silicates sont les processus des Puits.  Ces derniers sont générés, périodiquement et régulièrement par le réservoir, sans altération de sa substance.  Le démembrement d’une chose matricielle, en une chose principale et une chose accessoire, est un classique du droit Romain.  Pour que le lecteur nous comprenne, procédons à une analogie où le réservoir et de son processus renverraient respectivement au pommier et à ses pommes.  Aussi vrai que le réservoir engendre le processus, le pommier génère les pommes.

Au titre du démembrement des puits de carbone, il est alors indispensable d’instruire le lien d’engendrement entre ces deux objets de droits en consacrant le fait que le réservoir génère le processus, tout comme le fait que le pommier produise des pommes.  Le droit du climat a donc commis une double imprudence.  Outre le fait qu’il a qualifié une chose matricielle par son accessoire (ce qui revient à qualifier un pommier de pommes), il a de surcroit éludé le lien d’engendrement entre le processus et le réservoir.  En conséquence, la hiérarchisation de ces deux objets de droits que sont le réservoir et le processus est impossible (Cottet, 2013).  Ce qui conduit à une gestion déséquilibrée de ces deux objets de droits.  Eu égard à la neutralité carbone, le processus est financiarisé à outrance en qualité de revenu par les crédits et quotas carbone (Robinne, 2003).  Quant au réservoir qu’il convient de renforcer, il est tout juste bon à stocker le carbone.  Or, sans réservoir, pas de processus.  C’est bien entendu le réservoir qui a la primauté et qu’il convient de protéger, en « bon père de famille », ceci afin de pouvoir bénéficier du processus ainsi généré.  Malheureusement, le droit du climat s’est enlisé dans ces préceptes en démembrant des puits de carbone en deux objets de droits, le tout sans lien d’engendrement. 

Troisième imperfection :
la financiarisation de la lutte climatique induisant la valorisation du Vivant à la hauteur de l’inerte, sans considération du facteur de rareté propre au fondement de l’offre et de la demande

Pour le droit, un puits est un processus qui se valorise sur les marchés financiers du carbone.  Au titre de la neutralité carbone, le processus des puits se compense avec les émissions par les sources suivant une cotation commune.  Pour rappel, les puits de carbone retournent de l’intervention du Vivant, quand les sources procèdent de la combustion d’énergie fossile procédant de l’inerte.  Ainsi, la neutralité carbone n’est rien de plus qu’une compensation entre le Vivant et l’inerte.  En dehors des questionnements éthiques que pose un tel mécanisme de compensation, un grave problème se pose.  Le combat de David contre Goliath.

Pour se fixer les idées, il faut près de 50 arbres moyens (puits) pour compenser les émissions d’une seule voiture (sources).  En matière d’abondance, les sources sont largement plus abondantes que les puits, ce qui conduit à un profond déséquilibre.  Sur le plan mondial, on compte 2 unités de source pour une unité de puits (Friedlingstein, 2023).  De même en France, il y a 24 unités de source pour une unité de puits (CITEPA, 2023).  Au niveau régional, il n’est pas rare que 10 unités de sources côtoient une seule unité de puits.  Impulsée par les marchés du carbone, la conversion en crédits et en quotas valorise, à la même hauteur, les sources et les puits, sans considération du critère de rareté.  Le critère de rareté demeure un socle en économie, car il sous-tend le totem de l’offre et de la demande (Smith, 1798 ; Walras, 1874 ; Ricardo, 1992 ; Mill 2011).  En substance, échanger une chose rare au même prix qu’une chose abondante contrevient aux règles économiques les plus élémentaires.  Pourtant, en financiarisant la lutte climatique sans considération du critère de rareté, en traitant le processus des puits en qualité de revenus financiers, en échangeant les puits vivants si rares en compensation des sources l’inerte si abondantes, le droit du climat s’est écarté des règles économiques les plus élémentaires.

Avec de tels boulets aux pieds, il n’est alors pas étonnant que les Puits de carbone demeurent dans l’ombre du droit du climat.  Compte tenu de cela, nous nous sommes alors tournés vers le droit de l’environnement et le droit de propriété pour valoriser et protéger les Puits de carbone organiques.

Références

CITEPA, « Gaz à effet de serre et polluants atmosphériques. Bilan des émissions en France de 1990 à 2022 », 2023, p. 575.

COTTET M., Essai critique sur la théorie de l’accessoire en droit privé, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », Tome 544, 2013.

FRIEDLINGSTEIN P., O’SULLIVAN M., JONES M.W., ANDREW R.M., BAKKER D.C., HAUCK J., LANDSCHÜTZER P., LE QUÉRÉ C., LUIJKX I.T. et PETERS G.P., « Global carbon budget 2023 », Earth System Science Data, 15, no 12, Copernicus GmbH, 2023, p. 5301‑69.

JAOUL M., La notion de fruits : étude de droit privé, Th. Montpellier I, 2014.

MILL J.S., « De l’état stationnaire », Revue du MAUSS, 37, no 1, La Découverte, 2011, p. 419‑25.

RICARDO D., CONSTÂNCIO F.S. et SAY J.B., Des principes de l’économie politique et de l’impôt, Paris, GF-Flammarion, 1992.

ROBINNE S., Contribution à l’étude de la notion de revenus en droit privé, Presses universitaires de Perpignan, 2003.

SMITH A., Théorie des sentiments moraux, Paris, PUF, coll. « Léviathan », 1759.

WALRAS L., Éléments d’économie politique pure ou Théorie de la richesse sociale, Paris, Guillaumin, 1874.