Puits de carbone,
politique RSE et critères ESG

Par Frédéric Dietrich – 30/09/2024.

Dans ses derniers développements normatifs, le droit impose aux entreprises la prise en compte des dommages extérieurs qu’elles commettent sur la société civile et l’environnement dans leur système financier.  La publication d’information extra-financière est maintenant rendue obligatoire pour nombre de sociétés, notamment celles cotées.  Boussole de la Responsabilité Sociale en Entreprise (RSE), les critères Environnementaux et Sociaux de Gouvernance (ESG) servent dorénavant de grille d’évaluation.  Les Puits de carbone figurent en bonne place de ces critères, car ils conjuguent les intérêts environnementaux aux intérêts climatiques.  Mais dans les faits, la RSE sous critères ESG reste encore largement dominée par un droit volontaire (soft law), sans réelles sanctions juridiques.  Cependant, si l’on voit alors fleurir un nombre impressionnant de reportings extra-financiers largement biaisés, les entreprises devraient se détourner de tout laxisme.  Dorénavant, en matière de RSE, c’est la finance qui sanctionne.

Puits de carbone, RSE et critères ESG

La double origine de la Responsabilité Sociale en Entreprise (RSE)

La RSE a une double histoire, ou plutôt une double origine. 

De tradition philanthropique, la première origine date des années 1950 et se fonde sur l’adage selon lequel « ceux qui ont reçu doivent donner » (Bowen, 2013).  Cette approche plaide alors pour que s’organise une répartition équitable des richesses produites.  Sa vocation s’inscrit alors dans une démarche sociale propre à garantir le maintien de l’ordre public.

Constitutive aux multiples catastrophes industrielles des années 1980, la seconde origine de la RSE fait suite au Rapport Brundtland de 1987.  Fortement influencées par l’approche malthusienne (Malthus, 1798), les conclusions de ce rapport introduisent un développement économique qui « répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».   Le sommet de Johannesburg 2002 consolidera les bases de ce que l’on nomme aujourd’hui le développement durable.

Dans les deux cas, l’objectif de la RSE vise à intégrer, dans le bilan des entreprises, les nuisances extérieures – directes ou indirectes – qu’elles provoquent. 

Objet de la RSE : Internaliser les externalités

De l’effondrement du Puits-Biodiversité aux plastiques qui polluent le Puits-Océan, de la destruction du Puits-Forêt par la déforestation ou par le changement d’affectation des terres à la stérilisation du Puits-Sol par anthropisation : l’industrie cause des dommages, parfois irréversibles, aux Puits que l’on nomme les « externalités ».  Toutes ces externalités nuisent au renforcement des Puits de carbone.  Or, malgré le coût environnemental et sociétal qu’elles représentent, les externalités ne sont pas prises en compte dans le bilan comptable des entreprises.   Le célèbre économiste Ronald Coase pose alors le constat selon lequel l’activité des entreprises fait supporter des nuisances sans compenser les préjudices subis par les parties prenantes (Coase, 1988).

Constatant ces faits regrettables, la RSE a réorienté ses ambitions en faisant supporter aux entreprises les dommages qu’elles causent à l’environnement, au climat et à la société civile dans leurs systèmes financiers.  Ce mode de gouvernance se nomme « l’internalisation des externalités ».  En clair, le « fondement de la RSE réside dans la prise en charge de la part des entreprises des externalités qu’elles produisent » (Crouch, 2006).  En matière de RSE, l’évaluation des performances d’une entreprise se fonde désormais sur le degré d’internalisation des externalités. 

Les critères Environnementaux et Sociaux de Gouvernance (ESG), comme grille d’évaluation de la RSE

Pour évaluer les performances RSE en entreprise et pour internaliser correctement les externalités, il était nécessaire de se fonder sur des critères factuels. 

Le droit européen a alors largement contribué à clarifier les critères propres à évaluer la performance RSE d’une entreprise par la taxonomie verte (Règlement 2019/2088).  Cette dernière sera le fondement des critères Environnementaux et Sociaux de Gouvernance (ESG) dénommés les critères ESG.  Largement inspiré par les Objectifs du Développement Durable, le droit communautaire impose la publication d’informations aux entreprises en vertu des critères ESG.

Cependant, si ce Règlement énumère les critères ESG propres à mesurer la performance des entreprises en RSE, il reste encore trop flou et évasif sur les évaluations qualitatives et quantitatives desdits critères.  Une clarification s’imposait alors.

En remplacement du Règlement précité, un second Règlement 2020/852 fixe les indices visant à apprécier les critères ESG.  Parmi les critères devant être versés au reporting extra-financier, on compte les objectifs environnementaux comme : l’atténuation et l’adaptation aux CC, la transition vers l’économie circulaire, la réduction de la pollution et la protection de la Biodiversité.  Chacun de ces objectifs s’accompagne d’indicateurs variés comme la labélisation de certaines activités, le devoir de publication d’informations, l’utilisation de produits naturels dans la conception des produits ou encore le recyclage des déchets favorable à l’économie circulaire.  Dans le cadre de l’atténuation du changement climatique, les Puits de carbone se sont alors frayé une place de choix dans l’appréciation des critères ESG. Dorénavant, il est attendu des sociétés qu’elles améliorent « l’absorption de gaz à effet de serre, y compris par des innovations en matière de processus ou de produit », notamment « en renforçant les Puits de carbone » (art. 10§1-f). 

C’est par la sorte que les Puits de carbone se sont invités à titre d’indice de performance en qualité de politique RSE.  Nous le rappelons, la Vie est un Puits de carbone.  Puisqu’ils allient de concert les considérations environnementales et climatiques, les Puits de carbone cochent donc les cases de plusieurs critères ESG, ce qui plaide en faveur de leurs renforcements.

La portée coercitive de la RSE par la finance

En vertu du principe de l’effet direct du droit communautaire, les Règlements européens précités n’ont pas besoin d’être transposés en droit français.  Au titre de l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, les États membres sont tenus de les appliquer directement.  Historique, l’estimation de l’impact des entreprises sur la société civile, sur l’environnement et sur le climat par un document s’est manifestée avant les deux Règlements précités.  Cette estimation le fut par la Directive 2014/95/UE, laquelle se devait d’être transposée en droit français.

À l’occasion de la Loi 2017-399 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, l’article L. 225-102-1 du Code de Commerce transpose cette Directive en imposant que soit incluse une déclaration de performance extra-financière dans le rapport de gestion de certaines entreprises.  Sont concernées par cette obligation, les entreprises comptant 20 millions d’euros de bilan total ou 40 millions d’euros pour le montant net du chiffre d’affaires, ou encore les groupes dont le nombre d’employés est d’au moins 500 (art. R. 22-10-29, Code de Commerce). 

Cependant, malgré cette apparente coercition, les normes relatives à la RSE restent de la soft law, c’est-à-dire un droit incitatif, mais mou.  En effet, si les actions en faveur de l’environnement peuvent être valorisées par un regain de notoriété, les sanctions de droit commun infligées en cas d’inaction restent négligeables, voire inexistantes.

Pourtant, les entreprises devraient veiller à ne pas être laxistes dans l’élaboration de leur politique RSE dont dépendront leurs reportings extra-financiers.  Les actionnaires, courtiers et gérants de portefeuilles scrutent attentivement les performances RSE des entreprises en rapport avec les critères ESG.  Gare aux entreprises qui se monteraient laxistes ou qui falsifieraient leurs reportings, car les reports des portefeuilles sont lourds de conséquences.  De fil en aiguille, la finance et ses acteurs sont en mesure d’infliger des sanctions de nature à faire corriger ou à faire effondrer un titre en bourse : la plus redoutée des sanctions pour une entreprise cotée.  C’est bien là l’ironie du sort : en matière de RSE, c’est la finance qui sanctionne.

Références

BOWEN H., Social responsibilities of the businessman, University of Iowa Press, 2013.

COASE R.H., The firm, the market, and the law, University of Chicago Press, 1988.

CROUCH C., « Modelling the Firm in its Market and Organizational Environment : Methodologies for Studying Corporate Social Responsibility », Organization Studies, 27, no 10, 2006, p. 1533‑51.

MALTHUS T.-R., Essai sur le principe de population, Londres, Institut national d’études démographiques, 1798.

VALIORGUE B. et DAUDIGEOS T., « L’internalisation des effets externes négatifs est-elle possible dans le cadre de la RSE ? », dans 3ème Séminaire de recherche « Responsabilité Sociale de l’Entreprise » et des Marchés, 2008, p. 14.