La marchandisation des flux de carbone

Le processus d’absorption de carbone par les puits, naturels ou artificiels, entre désormais dans le régime des « biens meubles ».  La valeur marchande de ce bien est indexée par les marchés carbone, réglementés ou volontaires.  Le carbone positif (ou carbone d’émission) est effectivement reconnu dans sa dimension économique.  Dans son sillage, le carbone négatif (ou carbone d’absorption) devrait, lui aussi, endosser une valeur économique.

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§1 – Les flux de carbone deviennent un « bien »

Les puits de carbone – faisant intervenir la vie dans le processus d’absorption de carbone – sont dits, soit à « valeurs écologiques » (puits naturels ou anthropiques), soit sans valeur écologique, ou sans intervention de la vie (puits artificiels). Cependant, ils appartiennent tous au régime juridique des « biens meubles [1]». 

À l’origine, la dimension économique des puits est édictée par les Conventions-cadres relatives au climat.  Au Protocole de Kyôto de 1997, il est d’abord question de l’établissement d’une « variation nette » toujours entre sources et puits (art.3§3).  Enfin, dans ses derniers développements, l’Accord de Paris (2015) instaure la notion de « neutralité carbone ». Elle marque la recherche d’un équilibre entre le « carbone positif » d’émission par les sources et le « carbone négatif » d’absorption par les puits (art. 4§1).  C’est donc par cette recherche d’équilibre que les puits furent consacrés en droit au côté de leurs homologues, les sources.  Il restait cependant à formaliser ce bilan par une forme d’inventaires nationaux, certes différencié.  Ce fut chose faite avec les Contributions Déterminées au niveau National (CDN – art. 3, Accord de Paris 2015).  Ces normes ont ensuite conquis les différents droits internes.

§2 – Qu’entendons-nous par la « marchandisation de la Vie » ?

Selon le type de puits à « valeurs écologiques » ou sans « valeurs écologiques », il y a d’une part une marchandisation de la lutte climatique et d’autre part une marchandisation de la Biodiversité à des fins climatiques.  Ces deux possibilités doivent être distinguées.

Une distinction est ici à faire entre les puits pourvus de valeurs écologiques et les puits qui en sont dépourvus.  Les puits à valeurs écologiques font intervenir la Vie dans la réalisation du processus d’absorption.  Ce renforcement de la Vie va ensuite produire des bénéfices sur la Biodiversité et sur le Climat.  Les puits sans valeur écologique se cantonnent à la stricte captation du carbone au seul bénéfice du climat.  Pour autant, chacun de ces types de puits a sa raison d’être.  Cette marchandisation selon les types de puits interpelle sur la primauté de l’un sur l’autre.  En effet, il serait hasardeux de détruire des puits à valeurs écologiques au profit des puits sans valeur écologique dans une logique de compensation.  Les puits sans valeur écologique sont le plan B à la lutte climatique, lorsque le renforcement des puits à valeurs écologiques aurait démontré ses limites.

§3 – La lutte contre les dérèglements climatiques associée à la protection de la biodiversité

Un puits à « valeurs écologiques » possède effectivement une valeur marchande, cependant qu’une nuance soit à apporter.  Ce n’est pas le puit ou l’Être lui-même qui a une valeur marchande mais son service, et rien que son service.

Les concepts de fonctions et de services écosystémiques consacrés par le droit sont clairs sur ce point (Loi Biodiversité 2016/1087).  D’un côté, il y a les fonctions écologiques des Entités environnementales (Océan, Forêt, Sol et Biodiversité) qui représentent l’Être.  De l’autre côté, il y a la manifestation dudit Être qui induit son expression par des services écologiques.  En d’autres termes, seuls les services endossent une valeur marchande.  Contrairement aux fonctions, qui elles, appartiennent au « patrimoine commun » et sont non appropriables.  Comme les fonctions n’appartiennent à personne, leur usage est commun à tous (art. 714, Code civil) : c’est la chose commune[1].  Par exemple, un employeur n’est pas propriétaire de son employé : « fonction » de l’Être.  En revanche, l’employé fournit un service à l’employeur, par son temps de travail, ou pour la fourniture d’un travail déterminé.  C’est son « service » qui a une valeur marchande : le salaire. 

§4 – Les marchés carbone

Il existe deux types de marché carbone.  Le premier, le marché réglementé, concerne les signataires du Protocole de Kyoto (1997).  Le second, le marché volontaire, s’adresse à tous.  Quel que soit le marché, des échanges de crédits ou de quotas sont mis en place pour parvenir à la neutralité carbone des pays ou des entreprises.

Pour parvenir à la neutralité carbone (4§1, Accord de Paris 2015), le droit international a initié des modalités économiques autour de la marchandisation des flux de carbone.  Elles sont à l’origine du marché « réglementé[1] » (ou « de conformité ») et concernent les signataires du Protocole de Kyoto (1997).  Pour faciliter les échanges de quotas, une unité de quantification est ainsi créée (TCO2eq).  Celle-ci sert ainsi d’indexation à tous les autres Gaz à Effet de Serre (GES).  Ces outils dédiés soutiennent cette valeur économique des flux de carbone.  Antérieurs aux marchés réglementés, les marchés dits « volontaires » s’exonèrent souvent de certifications en se conformant à un label. En conséquence, ils sont plus flexibles et plus concurrentiels que les marchés réglementés.  En effet, le marché volontaire est davantage utilisé par les entreprises [2]pour parvenir à un bilan carbone neutre.  Chaque pays a l’opportunité de créer son propre marché « volontaire » qu’il peut encadrer par une législation lui étant propre en permettant des échanges avec des pays tiers.  Pour l’heure, le carbone positif est le grand bénéficiaire de ces échanges.  Le carbone négatif n’est pas en reste et commence à émerger avec des modèles probants, par exemple en Californie.

Références

[1] Billet P., « Considérations juridiques sur le service de pollinisation et services associés », Des petits oiseaux aux grands principes. Mélanges en hommage au Professeur Jean Untermaier, Maret et Martin, 2018.

[2] Camproux-Duffrene MP., « Les apports de la qualification de la biodiversité en chose commune à la construction et l’organisation de Communs naturels ». Rapport pour le GIP sur L’échelle de communalité, 2020.

[3] Conformément au principe de responsabilité commune mais différencié, deux mécanismes régissent les marchés réglementés.  D’une part, le Mécanisme de Développement Propre (MDP) pour les pays en voie de développement.  D’autre part, la Mise en Œuvre Conjointe (MOC) pour les pays développés listés dans l’Annexe I du Protocole de Kyoto (1997).

[4] Aggeri F., Cartel M., « Le changement climatique et les entreprises : enjeux, espaces d’action, régulations internationales », Entreprises et histoire, vol. 86, no. 1, 2017, pp. 6-20.

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